Implanter l’autogestion dans une firme de service-conseil : stratégies, enjeux et recommandations

Implanter l’autogestion dans une firme de service conseil - Image d'introduction

Vous dirigez une entreprise de service-conseil et vous vous questionnez sur la possibilité de faire un virage vers l’entreprise autogérée? Vous avez déjà entrepris ce virage mais rencontrez des obstacles inhérents à votre réalité opérationnelle?

Dans cet article, nous explorerons les principaux défis que les firmes de service-conseil peuvent rencontrer en opérant une transformation si profonde de leur mode de gestion. Nous donnerons des recommandations et pistes de solutions inspirées de notre expérience sur le terrain.

Avant toute chose, notons que vos enjeux ne seront pas les mêmes en fonction de l’audience et de la temporalité de votre transformation.

Dans l’écosystème d’une firme de service-conseil, on retrouve toujours les trois groupes d’acteurs suivants :

Implanter l’autogestion dans une firme de service conseil - Les différents groupes
  • Groupe A — Support & Administration : Les personnes ayant un rôle administratif ou de support à l’interne (RH, Finance, Marketing, Informatique, etc.)

  • Groupe B — Les conseillers : les employés permanents qui exécutent des mandats pour leurs clients

  • Groupe C — Les clients

 

Dans une entreprise de service-conseil, vous pouvez choisir d’implanter l’autogestion de 3 manières distinctes :

  1. Au groupe A seulement (groupe Support & Administration)

  2. Aux groupes A et B (groupe Support & Administration et groupe Conseillers) :

    a. En même temps

    b. De façon asynchrone

Il n’est jamais question de convertir nos clients au modèle d’entreprise auto-gérée, mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en incluant le groupe Conseillers dans le modèle, la complexité augmente du simple fait qu’ils sont en contact avec le groupe Clients. Ce dernier est porteur de contraintes sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle. Et cette complexité est encore plus grande si les conseillers effectuent leurs mandats directement chez le client.

En fonction de l’audience choisie pour la transition, examinons les enjeux que vous pourriez rencontrer, et nos recommandations pour les surmonter.

 

1. Support & Administration seulement (Groupe A)

Démarrons avec le cas de figure où vous choisiriez d’implanter l’autogestion seulement pour les rôles Support & Administration en interne.

Avantages

  • Peu coûteux

Si vous implantez l’autogestion seulement au niveau des fonctions de support en interne, la seule ressource coûteuse sera le temps de travail des employés concernés. Mais n’ayant pas de rôle facturable en clientèle, il n’y aura pas de coût d’opportunité monétaire supplémentaire.

  • Moins complexe

Si vous êtes une centaine dans l’entreprise et que le personnel administratif et de gestion interne représente une vingtaine de personnes, on parle d’1/5 de la compagnie à faire cheminer vers l’entreprise autogérée. Sans surprise, il est plus simple d’accompagner 20 personnes dans le changement plutôt que 100.

Inconvénients

  • Entreprise à deux vitesses

S’ils sont exclus de l’initiative, les conseillers pourraient se sentir mis à l’écart du noyau dur de gestion de l’entreprise et de la vie de bureau. Cela pourrait créer de la frustration et par effet de ricochet, une dégradation du sentiment d’appartenance et une forme de désengagement.

  • Sous-utilisation du modèle

En excluant les Conseillers (groupe B) de la mécanique d’autogestion, on restreint le champ d’action du modèle et donc ses bénéfices potentiels. Par exemple, l’autogestion s’avère très pertinente pour la maximisation de l’utilisation des ressources lorsque les personnes sont en inter-mandat ; mais nous y reviendrons plus tard.

Recommandations

  • Gestion des attentes

Si votre choix est de limiter l’application de l’autogestion aux personnes du groupe Support & Administration (groupe A), il est fondamental d’expliquer en toute transparence les raisons de ce choix aux Conseillers (groupe B).

  • Formation minimale pour tous

Même s’ils ne participeront pas activement au modèle, vos Conseillers font partie de votre organisation et méritent de comprendre le nouveau jargon et la nouvelle mécanique interne. Une formation à haut niveau sur les grands concepts de l’approche d’autogestion choisie est essentielle pour que les Conseillers puissent décoder la nouvelle réalité des rôles administratifs et de support.

  • Communication

Outre cette petite formation à haut niveau au moment du lancement de l’initiative, il est important de donner de la visibilité aux Conseillers au fur et à mesure que des changements de structure s’opèrent dans l’organisation. Lorsque de nouveaux cercles ou rôles sont créés ou qu’une nouvelle politique est mise en place, ils doivent être au courant pour ne pas perdre le fil. Une infolettre interne peut facilement remplir cette fonction.

 

2. Toute l’entreprise (groupes A & B)

Voyons à présent les enjeux que peut engendrer une transition de toute une entreprise de service-conseil vers l’autogestion, indépendamment du rythme d’implémentation choisi pour chaque groupe.

Avantages

  • Sentiment d’appartenance et culture d’entreprise

En incluant les rôles de support interne et les conseillers dans la mécanique d’entreprise autogérée, personne ne se sent mis à l’écart, tout le monde avance dans la même direction. La culture d’entreprise évolue pour tout le monde, avec le nouveau jargon de l’autogestion, la nouvelle structure des réunions etc.

Enjeux

  • Coût élevé

Si l’on reprend l’exemple précédent, le coût d’implémentation de l’autogestion sera plus important si l’on décide d’embarquer les 100 employés et pas seulement les 20 employés d’administration & support. La différence ne se joue pas tant sur le nombre d’employés à former que sur le coût d’opportunité des heures non facturables en clientèle.

  • Deux mondes, deux réalités

Lorsqu’ils s’impliquent dans leurs projets internes en plus de leurs projets clients, les Conseillers sont sans cesse en train de changer de réalité et de chapeau. Chez le client, ils travaillent selon la méthodologie du client, avec le titre qu’on leur a assigné, dans un mode de hiérarchie classique. Lorsqu’ils travaillent sur les projets internes, ils ne possèdent pas de titre, mais occupent un ou plusieurs rôles. Ils doivent changer d’état d’esprit pour adopter les réflexes de l’autogestion. Une vraie gymnastique du cerveau pour avoir la bonne attitude en tout temps. Pour cette raison, il est parfois plus long pour les Conseillers d’assimiler les concepts de l’autogestion : une grande partie de leur cerveau se doit de continuer à opérer dans le mode hiérarchie classique puisqu’ils sont au service de leurs clients. Ce point est d’autant plus marqué si les Conseillers effectuent des mandats directement chez le client et font partie d’une équipe de projet.

  • Horaire facturable vs projets internes

D’après notre expérience, voici l’enjeu le plus critique. Si vos conseillers interviennent chez leurs clients pour des contrats d’une durée déterminée à temps plein, comment concilier ceci avec une participation active dans les projets internes de l’organisation? Est-il réaliste de penser qu’un conseiller qui facture 100% de son temps de travail chez le client pourra s’investir à l’interne en parallèle? Si vous promettez à tous les employés que l’autogestion est une opportunité d’avoir un impact sur l’organisation, mais que le temps d’assignation en clientèle cible reste de 100%, vous risquez de vous frotter à de nombreuses frustrations…

Recommandation

  • Budget large

Prévoyez un budget d’implémentation conséquent, en calculant le coût d’opportunité de former des conseillers facturables.

Jonas Vonlanthen, Partner chez Liip en Suisse, connait bien cet enjeu : « La dernière formation Holacracy qu’on a faite chez Liip, c’était pour 50 personnes pendant 4 jours, dont 60% des gens qui étaient normalement en projet. On parle donc de 120 jours-hommes de projet en moins, plus les coûts de formation. C’est un gros investissement, c’est vrai. Par contre, on a vite vu dans les mois suivants que les gens avaient compris la mécanique et que tout allait plus vite. Sans oublier que la structure autogérée permet d’économiser les coûts d’une structure hiérarchique classique (en supprimant notamment les salaires élevés du middle management). »

  • Coaching

Pour remédier aux enjeux de changement de chapeaux des conseillers entre l’interne et l’externe, il est important de leur offrir du coaching pour les aider à assimiler plus vite les concepts de l’autogestion et à repérer lorsqu’ils retombent dans des vieux schémas qui n’ont plus leur place dans la nouvelle réalité interne. La gestion de projet chez le client diffère de la gestion de projets internes.

Vous pourriez également accompagner les conseillers à agencer leur horaire avec la réalité du client.

  • Gestion des attentes

Il n’y a pas de règle absolue sur le temps acceptable à consacrer aux projets internes. Tout est acceptable tant que la gestion des attentes fait l’option d’une attention particulière.

Si votre souhait est de permettre à tous les conseillers de s’impliquer dans l’organisation autogérée et les projets internes, une possibilité est de ne mettre que 80 ou 90% du temps de chaque conseiller à disposition des clients. Cela demande un sacrifice au niveau des ventes qui, pour certaines entreprises, peut s’avérer payant.

Si pour des raisons financières et de gestion de risque il est impossible de promettre à tous les conseillers d’avoir du temps pour des projets internes, alors ne leur promettez pas la lune. Une bonne gestion des attentes serait par exemple de dire : la priorité reste toujours le temps facturable ; lorsque vous n’êtes pas occupé à 100% en clientèle (mandat à temps partiel ou inter-mandat), alors vous êtes invités à occuper des rôles en interne, que vous devez abandonner dès que votre temps facturable ne vous permet plus de les assumer. De cette façon, vous tirez profit de la flexibilité qu’apporte le modèle d’autogestion pour réallouer les ressources rapidement, sans mettre votre profitabilité à risque. Non seulement cette mécanique devrait être clarifiée le plus tôt possible, mais elle devrait également apparaitre sous forme de stratégies / politiques claires dans le modèle d’autogestion.

Voyons maintenant l’impact de la temporalité de la transition.

 

a. Le support, l’administration et les conseillers en même temps

Vous aimez l’idée de permettre à tous les employés de vivre l’expérience de l’entreprise autogérée? Voyons ce qu’il se passe si tous les employés sont initiés en même temps.

Avantages

  • Momentum

En embarquant tout le monde dans l’initiative dès le départ, vous pouvez créer un vrai engouement collectif au moment du lancement. Cela permet d’augmenter le sentiment d’appartenance et que tout le monde démarre l’apprentissage des nouveaux concepts en même temps.

  • Économies d’échelle

Si vous faites appel à un formateur ou coach externe pour vous accompagner dans la transition, vous n’aurez à débourser les frais d’accompagnement qu’une seule fois pour tout le groupe.

Inconvénients

  • Lancement très coûteux

Le lancement représentera probablement un budget assez conséquent, car au coût de formation s’additionnera le coût d’opportunité de la perte de revenu du temps facturable des conseillers. Les finances peuvent être affectées à court terme.

  • Mettre tous ses œufs dans le même panier

S’il s’avérait que la transition soit plus complexe que prévu, les répercussions négatives d’un éventuel échec pourraient impacter toute l’entreprise.

Recommandations

  • Preuve de concept

Si vous souhaitez embarquer toute l’entreprise en même temps dans cette belle aventure, n’hésitez pas à faire une preuve de concept en interne avant de vous lancer pour valider la viabilité du modèle dans le contexte de votre réalité d’affaires. Chaque entreprise est unique et chaque culture est unique!

  • Accepter de ralentir pour mieux accélérer ensuite

Gardez en tête que le ralentissement sur l’activité sera temporaire et nécessaire, pour vous permettre ensuite de réaccélérer grâce à la maîtrise et à l’application des concepts de l’autogestion.

 

b. Le support, l’administration et les conseillers, de façon asynchrone

Enfin, vous pourriez choisir d’embarquer d’abord les employés du groupe Support & Administration (groupe A) puis les Conseillers (groupe B) dans un deuxième temps.

Avantages

  • Impact financier étalé dans le temps

Vous absorberez l’impact financier de l’implémentation sur plusieurs mois au lieu de tout débourser au lancement.

  • Processus itératif

En démarrant l’implémentation auprès d’un premier groupe, vous vous donnez la possibilité de tester l’approche sur un nombre restreint de personnes et de gagner en maturité sur le modèle avant de l’étendre au reste de l’entreprise. Vous faites preuve d’agilité et avez un peu plus de liberté de mouvement.

Inconvénients

  • Différence de niveaux

Imaginons que vous décidiez d’embarquer le groupe du Support & Administration aujourd’hui et le groupe des Conseillers dans 3 mois. Lorsque les conseillers commenceront tout juste à se former, les autres employés auront déjà acquis de bons réflexes et une certaine autonomie. Cela peut créer des déséquilibres dans les réunions mixant les deux groupes, engendrant de la lassitude pour les personnes du côté Support & Administration, ou du stress pour les Conseillers.

  • Entreprise à deux vitesses

Même le temps de quelques mois, avoir une entreprise à deux vitesses peut créer un fossé et générer du désengagement.

Recommandations

  • Planification

Si vous optez pour une implémentation en deux temps, il est important d’avoir une date fixée à l’avance pour l’inclusion du deuxième groupe, pour que les membres de celui-ci puissent se projeter dans la nouvelle réalité, sans se sentir mis à l’écart.

  • Communication

Pendant toute la première phase d’implémentation, ne lésinez pas sur la communication interne pour donner de la visibilité au groupe B sur ce qu’il se passe pour le groupe A qui, lui, fonctionne déjà en autogestion. Cela vous permettra aussi de renforcer le désir du groupe B de découvrir à son tour ce mode de travail.

  • Ambassadeurs

Enfin, quitte à implémenter l’autogestion en deux temps, vous pourriez identifier les personnes du premier groupe qui deviendront les ambassadeurs du succès de l’implémentation dans le deuxième groupe. Une stratégie payante d’un point de vue de la gestion du changement. C’est l’approche que Liip a choisie : « Avant de se lancer, on a voulu tester le modèle pendant 6 mois. On a formé 10% des employés, en choisissant des personnes influentes, présentes dans l’entreprise depuis assez longtemps. On a choisi les fortes têtes, ceux qui ont toujours quelque chose à dire — y compris des personnes qui n’étaient pas favorable à l’initiative. Le but était que ces personnes expérimentent les processus d’autogestion pendant 6 mois et diffusent leur connaissance autour d’eux dans l’entreprise. À la fin de la période test, on a fait un état de la situation, et puisqu’une grande majorité était favorable à la poursuite de l’initiative, on a investi pour former plus de monde. » Jonas Vonlanthen, Partner, Liip.

 

En résumé

Finalement, les 3 stratégies d’implémentation sont tout-à-fait envisageables. Chacune présente ses propres enjeux et complexités, mais aucun n’obstacle n’est insurmontable. Voici un tableau récapitulatif des points abordés dans l’article :

Implanter l’autogestion dans une firme de service conseil - Résumé

Avant de se lancer à corps perdu dans l’autogestion, chaque entreprise de service-conseil devrait se demander laquelle des stratégies serait à privilégier selon les motivations profondes de sa transformation — le Pourquoi.

Si votre but premier est de donner de l’autonomie aux employés et de renforcer le sentiment d’appartenance et la rétention, vous devriez considérer embarquer tout le monde. Si votre objectif est de libérer des tâches de gestion aux gestionnaires et d’accélérer la prise de décision en interne, vous pourriez choisir de n’inclure que le groupe interne des rôles Admin & Support.

Mais quelle que soit la stratégie que vous choisissez, l’important est de :

  • Gérer les attentes

  • Planifier

  • Former

  • Communiquer

  • Accompagner

Bonne implémentation!


À propos de IDEHŌ

Basée à Montréal, IDEHŌ se donne pour mission de créer des entreprises libérées, innovantes et humaines. IDEHŌ offre du conseil en management et transformation organisationnelle. www.ideho.ca

Autheur : Anne Chabert

Previous
Previous

13 maladresses fréquentes à propos du feedback

Next
Next

L’organisation auto-gérée : repenser les réunions au service de l’efficacité (4/4)